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LE LOUP LES MANGE.

poétique de se laisser mourir de mélancolie et d’essayer de se noyer dans les larmes. Qui sait ? peut-être quelque divinité favorable fmirait-elle par le changer en fontaine.

En attendant cette métamorphose, Guillot regagna la ferme à la nuit tombante ; et Robin, qui la veille avait eu le soin de ne le fustiger que sur le côté droit afin de se réserver tout le côté gauche en cas de récidive, ne tarda pas à établir le plus juste équilibre entre les étrivières de la veille et celles du jour. Guillot passa la nuit à compter ses brebis sur ses cicatrices.

Le soleil levant lui suggéra un autre stratagème ; il emprunta à Hylas, un des bergers les plus tendres et les plus littéraires du Lignon, des tablettes sur lesquelles celui-ci avait l’habitude d’inscrire des devises et des madrigaux. Guillot, qui avait de bonnes raisons pour n’avoir pas la fibre poétique très-développée, employa ces tablettes à fabriquer des numéros qu’il attacha au cou de chacune de ses brebis, afin d’en rendre le dénombrement plus facile. Mais ces numéros furent pour le loup comme un point de mire.

Guillot achevait à peine de numéroter la dernière, et la tenait encore entre ses jambes, quand le loup, qui s’était mis en embuscade derrière un bouquet de bois, s’élança d’un bond. Guillot poussa un cri, mais trop tard ; le n° 13 était déjà dans la gueule du ravisseur, qui regagna la forêt après avoir donné cette autre leçon de soustraction au pauvre Guillot.

Le soleil se coucha sur les nouvelles contusions du jeune berger ; mais le lendemain, quand il conduisit son troupeau le long du fleuve, on eût cru voir en lui un tout autre berger. Lui d’ordinaire si triste, si grave, qui ne cessait