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À COLOMBES SOULES, ETC.

assemblée que sans doute ils supposaient composée de trépassés.

Pour se créer des difficultés il suffit d’appartenir à la classe, hélas ! si nombreuse, des gens d’esprit. Les trois quarts du temps, — comme feu Gribouille, qui, pour éviter la pluie, se jetait dans la rivière, — ces honnêtes dupes du scepticisme s’appliquent à ne rien croire de ce qui est vrai pour arriver à douter de ce qui est faux : — et à ceci, par parenthèse, elles ne réussissent pas toujours.

Donc, cette fois encore, les gens d’esprit se trompaient ; le club des Suicides a existé, ou, pour mieux dire, failli exister… un jour seulement, il est vrai ; mais enfin ce jour-là mérite qu’on en parle. Sur lettres de convocation, dûment scellées et distribuées, plusieurs individus, de tout pays et de tout âge, se réunirent certain jour de certain mois, dans certaine maison de certaine rue, à Berlin ou ailleurs, pour y former le club en question.

La compagnie n’était pas nombreuse ; en revanche, on n’en eût pas trouvé facilement de plus choisie. Presque tous les membres étaient venus en carrosse, et avaient laissé aux portes une livrée nombreuse. La plupart d’entre eux portaient les insignes de quelque chevalerie ; énervés par les joies sensuelles, presque tous exhalaient les parfums excitants du musc ; et les cinq sixièmes marchaient à grand’peine, attardés par la goutte, cette maladie des millionnaires.

Une telle assemblée ne pouvait se passer d’un président anglais. Le plus morose et le plus jaune des nababs, Frédéric-James Mordaunt, de Calcutta, ex-payeur général de la compagnie des Indes, fut porté au fauteuil par un vote unanime, et par quatre grands Lascars à face cuivrée.