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LES CONSEILS DE L’ENNUI

pour si peu ; il se répondit à lui-même, et la conversation recommença sous forme de monologue.

— Parbleu ! s’écria-t-il encore, j’ai grand’faim ; le voyage et le grand air m’ont mis en appétit. Nous allons déjeuner ensemble ; ce sera fort gai ; quand M. Brémond rentrera, il nous trouvera à table à côté l’un de l’autre. Eh ! eh ! il verra que nous avons fait connaissance sans lui.

— Merci, Monsieur ; je ne déjeune jamais, répondit d’un ton sec madame Brémond.

— Jamais ! s’écria le Normand ébouriffé.

— Jamais à midi. Suzette, donnez ordre qu’on serve à monsieur un pâté, quelque poulet froid, deux ou trois biftecks ; la moindre des choses enfin.

— Au moins me tiendrez-vous compagnie ? reprit M. Deschamps.

Au moment où madame Brémond allait répondre, la femme de chambre vint annoncer que M. Alfred de Lespars attendait madame au salon.

— Veuillez m’excuser, Monsieur, dit vivement madame Brémond ; c’est pour une affaire importante qui ne souffre aucun retard.

M. Deschamps, un peu étourdi, passa dans la salle à manger, où le pâté et le poulet lui firent oublier la moitié de sa déconvenue.

Or, l’affaire qui ne souffrait aucun retard n’était rien moins que l’offre d’un billet pour le bal de la liste civile. M. Alfred de Lespars était éloquent ; mais madame Brémond était ennuyée.

— La valse vous distraira, disait le dandy.

— Mais je n’ai pas de robe, répondait la dame.