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LES PROVERBES VENGÉS.

voilà qui est plaisant, ajouta avec un rire forcé un grand jeune homme à moustaches blondes. Je me souviens, Mesdames, d’avoir figuré une seule fois en ma vie dans un proverbe ; c’était au collège, le mot était asinus asinum fricat… J’étais un si bon écolier que tout le monde disait que je devais me charger des deux rôles.

On s’égaya ainsi pendant quelques instants aux dépens du pauvre chevalier, qui, sans ajouter un seul mot, alla reprendre sa place sur la pelouse en cachant un sourire malicieux sous un air d’indifférence. Cependant, pour chasser l’ennui, on eut recours à divers expédients.

Le jeune homme à moustaches blondes tira de sa poche un volume de poésies intitulé Crises nerveuses, et se mit à déclamer les passages les plus saisissants. Au bout de deux pages, plusieurs dames prirent leurs flacons ; par précaution sanitaire, la lecture fut interrompue.

Une autre personne déploya un journal, et proposa de lire la suite d’un roman en trois cent soixante-cinq feuilletons, qui avait commencé le premier janvier et devait finir à la Saint-Sylvestre. L’auteur n’en était encore qu’aux gelées blanches ; on résolut de l’attendre aux chaleurs.

On essaya aussi de la musique : on entonna des chœurs, des nocturnes, des mélodies sur la mort, les tombeaux, le suicide, les fluxions de poitrine, etc. Alors quelqu’un demanda le De profundis ; on applaudit, et les voix se turent.

Enfin, quand on eut épuisé toutes les distractions et tous les passe-temps possibles, il arriva… Mais comment vous dire, Mesdames, ce qui arriva ? Comment vous peindre toutes ces jolies têtes s’inclinant à demi sur ces blanches épaules ; ces paupières se fermant à la fois comme des belles