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N’AMASSE PAS MOUSSE.

temps comme il vient, et je me suis arrêté ici pour faire la sieste en attendant l’heure d’entrer à Séville pour y demander l’aumône à la porte des églises.

La physionomie de l’interlocuteur était remarquable par un certain air de noblesse et de mélancolie ; son regard vif et perçant, sa bouche sardonique, sa parole mordante, annonçaient la supériorité d’une intelligence éprouvée. Soldat et poëte, comme il l’avait dit, il portait un justaucorps de buffle et un manteau d’étudiant, usés par de longs et pénibles services. À ses côtés était étendue une béquille qui lui servait à soutenir son corps affaibli par de nombreuses blessures ; un rouleau de papier sortait de ses poches, et sur les marges déjà jaunies on eût pu lire ce nom : Don Quichotte.

Quand il eut fini, un de ses voisins commença son histoire.

— Je suis né, dit-il, dans la ville d’Ormuz ; dès mon enfance, je désirai voyager sur mer ; c’est ce qui me fit donner le surnom de Syndbad le Marin. J’ai trafiqué avec tous les peuples, j’ai visité des pays inconnus au reste des mortels ; je rentrais dans ma patrie, maître d’une fortune considérable, lorsque le vaisseau qui me portait a fait naufrage en vue des côtes d’Espagne. Je n’ai pu sauver que ma vie ; toutes mes richesses ont été englouties. Je me suis arrêté ici pour faire la sieste, avant de me rendre à Séville et de voir si ses négociants, qui sont renommés par tout le globe, voudraient me placer à la tête d’une nouvelle expédition.

Le tour du plus jeune de la bande était arrivé. On voyait à la coupe de ses habits qu’il avait eu des préten-