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N’A JAMAIS PRIS DE SOURIS.

tion, il résolut de faire danser les pistoles paternelles. Il donna, oreilles baissées, dans les spéculations ; il acheta des terrains à l’infini ; il prétendit que son père et que son grand-père, qui lui avaient laissé une immense fortune, n’entendaient rien à l’existence. Amasser une fortune, beau mérite ! Il faut savoir en user, en abuser même ; osons, spéculons, risquons, buvons, rions, chantons ! — Ainsi s’exprimaient en chœur le Chat Botté et ses amis.

Bientôt même il rougit de son nom de Chat Botté ; il prit en aversion ses bottes, ses bottes immortelles, l’origine de sa splendeur, la perle de son blason, que son père lui avait fait promettre à son lit de mort de ne jamais quitter. Il les quitta et prit tilbury ; dès lors, ce ne fut plus Chat Botté, ce fut Chat lion, Chat gant-jaune.

Il se jeta dans les folies les plus monstrueuses. Que vous dirai-je ? Il devint éperdument amoureux d’une petite chatte grosse comme le poing, douée, il est vrai, d’une queue blanche magnifique, et qui avait déjà ruiné trois angoras anglais. Il lui loua un vaste hôtel gris de souris ; les chambres à coucher, le salon, le boudoir, furent entièrement tapissés d’hermine. Jugez du reste d’après cela.

Enfin, ses yeux se dessillèrent ; il vit que cette chatte le trompait, et n’avait absolument d’affection que pour les fourrures dont il ne cessait d’entourer son âme égoïste et glacée. Les fourrures s’usèrent ; l’ingrate bayadère à la queue blanche déclara que son amour était usé aussi, et lui ferma sa porte.

Alors les malheurs se succédèrent ; il fut obligé de vendre son hôtel, de congédier ses gens, jusqu’à son secrétaire intime, le docte et littéraire Murr, qui l’endormait tous les