Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/100

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
CHAT GANTÉ

quis de Carabas. Le château de Carabas fut jeté par terre ; on confisqua tout le domaine, et du même coup de griffe toutes les terres du chat, qui se trouvaient englobées dans le marquisat. On lui prit tout, fors ses bottes.

Mais avec des bottes on va loin, surtout une fois qu’on est placé sur la pente de l’exil. Le Chat Botté émigra ; il erra longtemps dans toutes les gouttières de l’Europe ; il fut réduit à d’étranges extrémités. Un certain jour, il se trouvait à Vienne, sur un toit ; il s’était assoupi doucement. Tout à coup, il sent autour de lui comme un tremblement de terre ; il entend un vacarme effroyable qui s’étend d’un bout de l’Europe à l’autre. Il aperçoit près du toit de l’exil où il est étendu une sorte de mât de cocagne ; il y grimpe pour observer l’horizon politique ; mais à peine est-il arrivé au sommet que le prétendu mât se met à gesticuler. Le chat s’aperçoit qu’il est juché au faîte d’un télégraphe, qui s’agite pour annoncer au monde entier que le général Bonaparte vient d’être proclamé Empereur des Français.

Ce que devint le Chat Botté sous l’Empire, on l’ignore ; il est probable pourtant qu’à titre de chat émigré il fut dans l’opposition. La Restauration arriva ; il eut sa large part dans le milliard d’indemnité ; on le réintégra dans tous ses biens ; mais il eut le bon esprit de vendre ses terres, qui faisaient partie du domaine de Carabas, de crainte de nouveau naufrage. Sentant sa fin prochaine, il acheta de la rente, et s’éteignit paisiblement entre les pattes de son fils, qui le miaula pendant plus de trois mois, et coucha dans la hutte d’un charbonnier en signe de deuil.

Cependant, dès que Chat Botté iii eut secoué son afflic-