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SPENCER

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en 1852, il occupa par la suite de hauts emplois dans la maison royale.

John Poyntr-, né le 27 oct. 1835, fils du précédent, membre de la Chambre des communes depuis 4857, fut lord-lieutenant d’Irlande de 1868 à 1874. Président du conseil en 1880, il redevint en 1882 vice-roi d’Irlande. C’était l’époque des assassinats de Phénix Park, et lord Spencer eut à exécuter les mesures de répression édictées par le Crimes Act. Il fut une seconde fois président du Conseil dans le cabinet Gladstone de 1886 et il fut un des principaux et des plus utiles soutiens du grand homme d’Etat dans la préparation et la discussion du HomeRule. De 1852 à 1895, Spencer fut premier lord de l’amirauté. Bidl. : Le Marchand, Memoirs of J.-C. viscount Althorp, Ihird earl of Spencer : Londres, 1876. SPENCER (Georgiana), duchesse de Devonshire, née le 9 juin 1757, morte à Londres le 30 mars 1806. Fille de John, premier comte Spencer, elle épousa en 1774 le duc de Devonshire qui était « le plus beau parti d’Angleterre ». La nouvelle duchesse était aussi charmante que gracieuse et intelligente : elle eut une légion d’admirateurs, et un salon célèbre où fréquentèrent toutes les illustrations du temps, surtout Fox, Shéridan et Selwyn. Georgiana était, en politique, d’un libéralisme avancé. Elle prit une part prépondérante à la fameuse élection de Westminster (1784), où elle mit tout en œuvre pour recruter des voix à Fox. Cette femme élégante et cultivée a laissé des poésies non sans valeur, notamment un Passage du Saint Gothard, qui a été traduit en français (1802), en italien, en allemand. Elle a été peinte par les plus célèbres artistes, Joshua Reynolds et Gainsborough, entre autres. R. S.

SPENCER (Herbert), philosophe anglais, né à Derby le 27 avr. 1820. Ses parents étaient méthodistes. Son père et ses oncles étaient en politique des radicaux. Son père, qui était professeur, puis son oncle, qui était pasteur, et auquel on le confia de treize à dix-sept ans, lui laissèrent une grande liberté de développement intellectuel. Il s’intéressa de bonne heure aux sciences naturelles et aux questions politiques plus qu’aux langues mortes et refusa de passer par les Universités. A dix-sept ans, il accepta une situation d’ingénieur au chemin de fer de Londres et Birmingham. A l’âge de vingt-six ans, une crise dans la construction des chemins de fer lui fit perdre sa place, et de 1848 à 1853, il occupa au journal The Economist une position qui correspond à peu près à celle de secrétaire de la rédaction. C’est à cette époque, en 1850, qu’il publia un ouvrage, Social Statics, où apparaissent déjà ses idées directrices.

La formation’ de sa doctrine. — La philosophie de Spencer est un effort pour justifier les théories politiques et sociales du libéralisme radical, qu’il tenait de son milieu familial, au moyen de principes empruntés d’une part à la philosophie romantique ’allemande, d’autre part aux sciences biologiques et physiques. A vingt ans,’ il lisait les Principes de géologie de Lyell, et acceptait la théorie de l’évolution, dans son opposition à la théorie de la création. Dès 1842, il publiait dans le journal The Nonconformist une étude sur la Sphère d’action du gouvernement, où il affirmait ses croyances libérales. En 1850, dans Social Statics, il accepte toutes les conclusions politiques des radicaux utilitaires de l’école de Bentham, mais en rejetant la justification théorique que les Benthamites en avaient donnée. Ce qui fait l’importance de ce livre, c’est qu’on peut y saisir très nettement les diverses influences [qui ont agi sur l’esprit de Spencer et les origines de sa pensée. 11 admet avec les utilitaires ’que la meilleure organisation sociale possible est celle où le rôle de l’Etat sera réduit au minimum et où par suite la liberté de l’individu sera aussi grande que possible. Dans le présent, il réduit le rôle de l’Etat à la police et à la défense contre l’étranger. Dans l’avenir, il prévoit même la disparition de toute espèce de gouvernement. C’est par cette dernière thèse, renouvelée de Godwin, qu’il se distingue, au point de vue politique, des Benthamites orthodoxes. Au point de vue économique, il admet la propriété commune pour le sol, comme Dove et Stuart Mill, mais il la rejette partout ailleurs. Ce qui caractérise le libéralisme de Spencer, c’est cette combinaison d’une théorie politique anarchique avec une théorie économique qui maintient la propriété individuelle. Chez ^Spencer comme chez les Benthamites, le libéralisme repose sur la croyance à l’identité naturelle des intérêts individuels. Cbez lui comme chez Hartley ou chez Godwin, cette identité naturelle n’est pas conçue comme primitive, mais comme le résultat final du progrès, c.-à-d. d’une évolution sociale bienfaisante. D’autre part, Spencer rejette la théorie de Bentham, qui faisait consister la morale dans un calcul de plaisirs, qui ramenait la justice à l’intérêt bien entendu, et qui considérait l’organisation sociale comme le produit des combinaisons réfléchies de l’intelligence individuelle. II critique l’intellectualisme utilitaire au nom d’idées empruntées les unes aux philosophes Ecossais, les autres à la métaphysique allemande par l’intermédiaire de Coleridge et de Carlyle. Pour lui comme pour les Ecossais, il y a en nous un sens moral, un sens du bien et du mal, irréductible à tout raisonnement et à tout calcul d’intérêts ; le principe propre de la moralité, c’est pour Spencer, comme pour Adam Smith, le sentiment de la sympathie ; et de plus la sympathie permet d’expliquer psychologiquement le sentiment de la justice, qui en dérive ; le libéralisme se déduit tout entier de la notion de justice, et la condition nécessaire et suffisante de sa réalisation, c’est la prépondérance future du sentiment moral dans l’âme humaine ; cette prépondérance résultera naturellement de l’évolution sociale, parce que la justice définit pour la société les seules conditions d’équilibre stable. De Carlyle, Spencer a retenu l’idée qu’il y a dans la société et dans la moralité quelque chose d’inconscient, de mystérieux, de divin, de providentiel ; la moralité et la justice, dit-il, se souvenant encore de l’éducation religieuse reçue dans son enfance et s’inspirant indirectement de Schelling et de Hegel, sont la réalisation de l’idée divine. Ces conceptions, où se mêlaient le protestantisme et la métaphysique allemande se retrouvaient à la même époque chez Coleridge, sous une forme plus achevée. La philosophie réformatrice du xvm e siècle avait tenté de ramener la nature et la société à un mécanisme que la pensée réfléchie pouvait concevoir et recomposer tout entier. Les romantiques allemands au contraire, Schelling en particulier, y avaient vu le produit d’une activité inconsciente, d’une force mystérieuse, analogue à celle de la vie ; la nature et la société pour eux n’étaient pas des mécanismes, mais des organismes ; et par l’idée d’organisme ils n’entendaient pas un système de rapports purement statiques, comme l’avaient fait avant eux les penseurs qui avaient comparé à un organisme la société et la nature ; ils entendaient un ensemble de rapports dynamiques, qui évolue par l’action d’un principe de vie intérieur et inconscient ; pe développement, qui est la vie de l’univers et de la société, tend à la fois vers une détermination, une différenciation de plus en plus grande et vers une coordination harmonique de plus en plus parfaite des parties de l’ensemble. Coleridge avait repris toutes ces thèses des romantiques allemands et s’en était servi comme eux pour légitimer une théorie conservatrice et religieuse de la société. Spencer qui le cite lui doit, avec son idée de vie et d’organisme, sa conception de l’univers et de la société comme une évolution inconsciente qui se lait dans le sens d’une individualisation et d’une harmonie toujours plus parfaites, c.-à-d. dans le sens de ce qu’il appellera plus tard différenciation et intégration. II s’efforce de justifier le libéralisme radical au moyen des théories mêmes dont les conservateurs se réclamaient pour le combattre. Spencer étudiait en même temps les biologistes contemporains, où il rencontrait une conception de la vie plus précise, àcer-