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MYSTICISME

tue) el du moral (entendement et volonté, esprit ol cœur, etc.), et toute la conception de la nature humaine en a été renouvelée Or ne pourrait-on dire que dans les âmes où l’intellectuel domine le moral — et Descartes lui-même eu est une preuve — le rationalisme l’emporte, tandis qu’au contraire dans (elles où Le moral domine I inlellectuel, par exemple chez Pascal, la balance penche tôt ou tard du côté du mysticisme ? On comprendrait ainsi pourquoi la Femme est en général plus facilement mystique que l’homme, pourquoi le mysticisme s’allie naturellement avec la religion el avec l’art, au lieu que le rationalisme trouve tout à la t’ois son expression et sa satisfaction la plus parfaite dans la science, pourquoi enfin l’un se développe plutôt dans la vie pratique et sociale, tandis que l’autre n’a pas de meilleur foyer que la vie intérieure et contemplative.

Il existe donc un mysticisme psychologique — si l’on nous permet de le nommer ainsi — antérieur au mysticisme religieux et au mysticisme philosophique, dont l’étude

— qui n’a jamais ete faite, du moins à notre connaissance

— jetterait les plus vives lumières sur la psychologie des races et sur l’histoire de l’humanité.

Nous n’insisterons pas sur le mysticisme religieux. Nous ferons seulement remarquer que. si toutes les religions sont nécessairement mystiques, elles sont bien loin de l’être toutes au même degré. Ainsi le polythéisme grec et romain l’était infiniment peu en comparaison des religions pantheistiques de l’Inde (brahmanisme et bouddhisme) : et sans doute le christianisme a ete et est encore la plus grande école de mysticisme pour le genre humain. Remarquons aussi que dans beaucoup de religions le mysticisme s’est surtout développe en marge des dogmes traditionnels et du culte public, dans des associations plus intimes, parfois même entièrement secrètes et fermées, où la vie religieuse était nécessairement plus concentrée et plus active. C’est ainsi que chez les Grecs les « mystères » étaient comme une seconde religion connue des seuls initiés, à côté, sinon en dehors, delà religion populaire. De même, chez les Juifs. la religion des prophètes ou nabis respirait un mysticisme incomparablement plus ardent que celle des prêtres ou lévites. Enfin, c’est dans le sein des confréries et des ordres religieux que le mysticisme chrétien a surtout fleuri au moyen

Il y a incontestablement en philosophie un esprit mystique ou même, si l’on veut, une méthode mystique ; mais, ’quoi qu’en ait dit Victor Cousin, l’existence du mysticisme en tant que système défini et distinct ne nous semble nullement démontrée.

On sait comment le chef de l’école éclectique a prétendu ramener a quatre principaux, sensualisme, idéalisme, scepticisme et mysticisme, tous les innombrables systèmes que fa philosophie a successivement enfantés. Voici comment il résume lui-même sa théorie tftistStrê générale de la philosophie ) : « La rellexion, dit-il (et pour lui, la philosophie n’est pas autre chose que la rellexion travaillant sur la connaissance naturelle), en s’engageant dans une des parties de la conscience, la partie sensible, s’il est permis de s’exprimer ainsi, est arrivée au sensualisme : en s’engageant dans la partie intellectuelle, dans les idées qui appartiennent a la raison, elle est arrivée a l’idéalisme ; en revenant sur elle-même, sur ses forces et leurs limites, et sur la faiblesse des deux systèmes qu’elle avait déjà produits, elle est arrivée au scepticisme. Mais il y a quelque chose encore dans la conscience qu’elle n’a pas son^e a aborder, c’est le fait de la connaissance naturelle et spontanée, ouvrage de cette puissance merveilleuse, antérieure à la réflexion qui produit toutes les croyances mêlées et confuses, il est vrai, mais au fond solides, sur lesquelles vit et dans lesquelles se repose le genre humain. La spontanéité avait échappé à la réflexion par sa protondeur, par son intimité même ; c’est à la spontanéité que dans son - :ioir la réflexion finit par s’attacher. « Le caractère essentiel de la connaissance naturelle, de l’intuition spontanée, est d’être primitive, antérieure a loin retour de la pensée sur elle-même, a toute division, a toute analyse : elle est donc nécessairement obscure et mystérieuse. C’est pourquoi le système qui se fondera sur l’étude de ce fan à l’exclusion de tous les autres s’appellera le mysticisme. »

Vprès avoir ainsi défini le mysticisme, Y. Cousin déduit de cette définition ses plus importants caractères : « La spontanéité, l’inspiration, non encore altérée par le raisonnement, est accompagnée d’une foi sans borne, et parla elle exclut les incertitudes du scepticisme. Elle révèle a l’homme les plus importantes vérités qu’elle semble emprunter directement à leur principe. Le mysticisme travaille donc sur un fait admirable. Il le décrit, le dégage, l’éclaircil et en tire les trésors de vérité qu’il renferme. » Mais voici les mauvais côtés du mysticisme. « L’inspiration n’est bien puissante que dans le silence des opéra lions de l’entendement. Le raisonnement tue l’inspiration ; l’attention même qu’on lui prête l’alanguit et l’amortit, l’i faut, pour retrouver l’inspiration primitive, suspendre autant qu’il est en nous l’action de nos autres facultés. Tourne/ ceci en principe et en habitude, et bientôt vous prenez en dédain les plus excellentes facultés de la nature humaine. On fait alors assez peu de cas de ces sens grossiers qui empêchent ou obscurcissent l’inspiration ; on fait peu de cas de cette activité volontaire et libre qui, par les combats douteux qu’elle rend contre la passion, répand dans l’âme les chagrins et les troubles, triste berceau de la vertu... Le sentier de l’action est seine d’amertume. Fuir l’action parait plus sûr au mysticisme. De plus, la science, avec son allure méthodique, son analyse et sa ■synthèse artificielles, ne parait guère qu’une vanité laborieuse a qui puise sans effort la vérité à sa source la plus élevée. Voilà donc le mysticisme qui néglige le monde, la vertu, la science pour le recueillement intérieur et la contemplation, et il incline au quiétisme. » Mais il ne s’arrête pas là. « On veut des inspirations, des contemplations supérieures, de l’enthousiasme, soit, mais on n’en peut avoir tous les jours, à toutes les heures ; les âmes douces attendent en silence l’inspiration, les âmes énergiques l’appellent. On veut entendre la voix de l’esprit : il tarde ; on l’invoque et bientôt on l’évoque. On appelle, on écoute et on croit entendre, on a des visions et on en procure aux autres. On voit sans yeux, on entend sans oreilles, on commande aux éléments sans connaître leurs lois ; les sens et l’imagination, qu’on croit avoir enchaînés, se mettent de la partie, et des folies tranquilles et innocentes du quiétisme on tombe dans les délires, souvent criminels, de la théurgie. »

Dans le mysticisme, tel que vient de le décrire Victor Cousin, on reconnaît incontestablement une tendance intellectuelle et morale à laquelle certains philosophes ont plus particulièrement obéi, ou même, si l’on veut, une méthode dont ils se sont plus particulièrement inspirés ; mais on n’y retrouve pas le contenu d’un système distinct et défini, comparable au matérialisme, au spiritualisme, au panthéisme, etc. En fait, si l’on examine, non plus les tendances, mais les doctrines de la plupart des philosophes mystiques, on constate que le mysticisme ou cesse bientôt chez eux d’être une philosophie et se transforme en religion, ou qu’il ne fait que retrouver, en les attribuant à une révélation surnaturelle, les explications données par d’autres systèmes, tels que le spiritualisme et le panthéisme. Il serait donc plus exact, d’admettre soit un spiritualisme, soit surtout un panthéisme mystique ou, pour mieux dire, une forme mystique de tous ou presque tous les systèmes philosophiques, car peut-être le matérialisme lui-même, qui est à coup sur le moins mvstique de tous, n’exclut pas nécessairement quelque teinte de mysticité chez tel ou tel de ses partisans (Lucrèce, d’Holbach, l’riestlev, etc.). En tout cas. le positivisme, qui, à beaucoup d’égards, se rapproche du matérialisme, s’alliait chez son fondateur, Auguste Comte, à un mysticisme indéniable.