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Henri Heine (né à Düsseldorf en 1799 et mort à Paris en 1854) était certainement, dans le fond de son cœur, bien plus juif que Bœrne ; il possédait les qualités et les défauts de sa race à un haut degré. L’esprit de Bœrne ressemblait à un ruisseau limpide, coulant tout doucement sur des cailloux et ne se couvrant d’écume que quand il était soulevé par quelque tempête. Quant à Heine, son esprit était comme un torrent, dont les eaux, illuminées par les rayons du soleil, brillent de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, mais qui attire dans le gouffre et emporte dans sa course impétueuse tout ce qui s’en approche. Aussi profond penseur que poète pittoresque, il savait se montrer critique implacable et causeur étincelant.

Sans qu’il s’en rendit peut-être bien compte, Heine éprouvait pour le judaïsme ou plutôt pour la race juive, pour ses longues souffrances ainsi que pour ses livres sacrés, une profonde admiration. Parfois il se sentait fier d’appartenir à un peuple si ancien, qui avait triomphé de tant d’obstacles. Je vois maintenant, disait-il, que les Grecs furent tout simplement de beaux jeunes gens, tandis que les Juifs furent toujours des hommes vaillants et indomptables, non vilement dans le passé, mais jusqu’au temps présent, malgré dix-huit siècles de misères et de persécutions. J’ai appris à les mieux connaître et apprécier, et s’il n’était pas absurde de se montrer orgueilleux de sa naissance, je pourrais être fier d’appartenir à la noble maison d’Israël, de descendre de ces martyrs qui ont donné au monde un Dieu et une morale, et qui ont combattu et souffert sur tous les champs de bataille de la pensée.

Dès sa jeunesse, Heine sentait confusément ce qu’il exprima plus tard avec une si chaleureuse éloquence. Mais les impressions produites sur lui par ses coreligionnaires étaient si diverses qu’il ne savait quelle position prendre à l’égard du judaïsme. Ceux qui se distinguaient par leurs mœurs austères, leur piété, leurs vertus, froissaient son goût délicat par leurs manières gauches et leur extérieur déplaisant. Dans les milieux raffinés, par contre, où il rencontrait les Friedlænder, les Ben-David, les Jacobson, on se moquait des Juifs et de leur religion et on admirait le christianisme. Mais, plus courageux et plus ferme dans ses convictions