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HISTOIRE DES JUIFS.

jour d’expiation. Autrefois, le septième jour de la fête des Tentes (le Hoschana rabba) était un jour de réjouissance. Joseph Karo lui-même n’osa pas, dans son code religieux, donner un sens mystique à cette journée. Ce fut sous l’influence de l’enseignement cabbalistique de Louria que ce jour devint comme une répétition de la fête de l’Expiation, qu’on institua l’usage de passer la nuit précédente à réciter des cantiques et des prières, qu’on accorda une valeur mystique à chaque feuille des branches de saule dont on se sert en ce jour et aux sept tours qu’on fait autour de l’arche sainte. Au point de vue moral aussi, l’action de Louria fut des plus funestes. Ce cabbaliste avait, en quelque sorte, établi en principe que les deux époux étaient prédestinés l’un à l’autre et que, par conséquent, leurs âmes avaient été créées pour vivre ensemble en parfaite harmonie. La conséquence de cette théorie fut que les cabalistes, alors fort nombreux, répudiaient leurs femmes à la moindre difficulté, sous prétexte qu’il y avait eu erreur et qu’en réalité ils n’étaient nullement destinés à s’unir à la femme qu’ils avaient épousée. Il arrivait fréquemment que des cabalistes abandonnaient femme et enfants dans un pays occidental pour se rendre en Orient, où ils contractaient une ou plusieurs nouvelles unions, sans que les enfants issus de ces divers mariages eussent le moindre soupçon de leur parenté.

Cet état de choses si affligeant se développa-t-il peut-être parmi les Juifs d’Orient par suite de la sécurité que leur assurait la puissante protection du duc de Naxos ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne s’améliora pas, même quand cette protection vint à leur manquer. L’influence de Joseph de Naxos à la cour ottomane disparut, en effet, à la mort du sultan Selim (1574). Le duc juif fut bien maintenu par Mourad III (1574-1595) dans ses dignités et ses emplois, mais il n’eut plus aucune action sur le Divan. Il ne survécut pas longtemps à sa disgrâce partielle ; il mourut le 2 août 1579.

Sur les conseils du grand-vizir Mohammed Sokolli, Mourad mit la main sur la fortune de Joseph de Naxos, sous prétexte de garantir le payement de ses dettes ; il ne laissa à la veuve, Reyna Nassi, que la somme de 90.000 ducats, montant de sa dot. Reyna ne possédait ni les brillantes qualités de sa mère, Dona Gracia, ni la haute intelligence de son mari, mais elle était