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lorsque les commencements en sont extraordinaires. Bientôt, l’héroïcité du mérite se déclare, la renommée se fait entendre, et le cri de la louange devient général.

Cependant, il ne suffit pas d’avoir glorieusement commencé ; il faut se soutenir, et avancer même, bien loin de se démentir. Néron commença son règne en père de la patrie, et il le continua et le termina en tyran. Lorsque les extrémités du bon au mauvais, de la gloire à la honte, du vice à la vertu, se sont ainsi rencontrées dans un même homme, c’est un monstre condamné au mépris et à l’horreur de tous les siècles. Mais il n’est peut-être pas moins difficile de se maintenir dans sa réputation que de la commencer. La réputation baisse peu à peu, tombe et finit, parce qu’elle est de la nature des choses sujettes aux lois du temps. Néanmoins, la gloire ne survit-elle pas tous les jours à l’homme qui s’en est acquis ? Oui, mais c’est lorsque l’homme n’a pas survécu lui-même à sa gloire.

Il est essentiel de renouveler de temps en temps sa réputation, c’est-à-dire de faire voir, par intervalles, de nouvelles preuves de son mérite. La renommée n’est pas tout à fait, à l’égard du bien, ce qu’elle est à l’égard du mal : elle se tait plus volontiers sur le bien, quand on est trop longtemps à lui fournir de quoi parler. Et d’une autre part, comme le mérite le plus accompli perd beaucoup à se montrer trop souvent, l’habileté est de savoir en suspendre, et en faire reparaître à propos les effets. Cette sage alternative de repos et d’action entretient à coup sûr l’estime publique, au lieu que des succès, continués et suivis de trop près, ne font presque plus d’impression. Le soleil ne varie-t-il pas son horizon ? Et son absence, dans une partie du monde, y excite le désir de le revoir, tandis que