Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée

de l’accabler sous la charge des notions positives et des faits qui ne pourraient qu’étonner et appesantir son cerveau. Assurément il ne déprécie pas le travail de la mémoire ; mais « dans un réservoir si petit et si précieux on ne doit verser que des choses exquises. » Ce qu’il vise, à travers toutes les grâces de ses leçons, c’est le fond de l’esprit, le jugement dont il s’efforce d’assurer la justesse et la solidité, « le bon raisonnement étant la seule qualité sur laquelle on puisse compter, et se fortifiant de lui-même avec l’âge, pour peu qu’il soit bien cultivé. » En cela non plus d’ailleurs, il ne veut pas d’exactitude indiscrète ni de rigueur prématurée. « Le premier âge des enfants n’est pas propre à raisonner de tout, » et ce qui dépasse leurs facultés les affaiblit, bien loin de les fortifier. Qu’ils sachent seulement ce que c’est que « tirer droit une conséquence » ; qu’ils se rendent compte de leur étude ; qu’ils s’habituent à voir : le reste en découlera. Fénelon n’a aucun goût pour ces jolis sujets qu’on accoutume à hasarder ce qui leur vient dans la tête et à parler de ce qu’ils ne savent pas, pour ces prodiges de cinq ans qui semblent tout promettre et dont, à la première épreuve sérieuse, la vivacité factice tombe et s’éteint ; il aime mieux les intelligences reculées, qu’il faut attendre, mais qui arrivent, les esprits tardifs, auxquels il faut du temps pour s’épanouir, mais qui ont leur jour de franche maturité. Il fait, en un mot, pour l’éducation de l’intelligence ce qu’il a fait pour l’éducation du caractère : il met l’enfant « au large, » suivant son heureuse expression ; et, par ce travail prolongé sans contrainte ni fatigue, il le dispose pour l’effort auquel le progrès de l’âge doit l’élever.