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assujettit aux impressions des sens et les expose de toutes parts aux passions, l’objet de leur éducation doit être, non de justifier et d’encourager ces faiblesses, mais de leur enseigner et de les exercer à s’en défendre ; il faut éclairer, soutenir, armer leur âme. Ici encore, on le voit, Mme Roland se mettait en opposition formelle avec Rousseau. Et elle ne se bornait pas à toucher la question en passant comme Mme Necker. « C’est parce que la dissipation nous entraîne, dit-elle, parce que la frivolité nous séduit et que tout conspire à fortifier leur ascendant sur nous, qu’il est si difficile de nous donner ce sens droit, ce goût du vrai, ces idées saines, nécessaires pour éviter les écarts de la folie et le néant de l’inutilité. Entourées comme on entoure les princes, nous partageons avec eux le malheur d’avoir des flatteurs en grand nombre et d’être souvent sans amis. Nous sommes nées à peine que le murmure enchanteur des éloges se fait entendre autour de nous ; donnés à des élans agréables, ils fixent sur eux notre attention et nous trompent sur la réelle valeur des choses. Occupées à les mériter sans cesse par les petits agréments qui nous les ont valus, nos vues se divisent et se rétrécissent ; l’illusion de la vanité resserre et dessèche en quelque sorte notre sensibilité et se disperse sur mille objets indignes d’elle. Guidées par le caprice, maîtrisées par les sens, adorées dans la jeunesse, oubliées un peu plus tard, inutiles en tout temps, nous avons quelque ressemblance avec ces idoles auxquelles un peuple superstitieux rend ses humbles hommages lorsqu’il en attend des bienfaits, et qu’il néglige ou châtie dans sa mauvaise fortune… Il faut donner plus d’étendue à l’esprit des femmes, plus d’élévation à leur âme,