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avaient de père en fils tenu boutique de miroiterie ; et ç’avait été une des humiliations de sa vie d’avoir toute une semaine, par obligeance, occupant la place de la cousine, vendu des lunettes et des verres de montre. La proposition pressante de son père avait achevé de creuser l’abîme qui les séparait. « Occupée dès mon enfance à considérer les rapports de l’homme en société, nourrie de la plus pure morale, familiarisée avec les grands exemples, s’écrie-t-elle avec une indignation que vingt ans d’intervalle n’ont pas affaiblie, n’aurais-je vécu avec Plutarque et tous les philosophes que pour m’unir à un homme qui ne penserait ni ne sentirait rien comme moi ? » « Cet ami de mon père, ajoute-t-elle avec une froideur un peu âpre et où elle ne vise pas moins son père que son prétendant, était étranger aux idées relevées, aux sentiments délicats par lesquels j’appréciais l’existence. » La sincérité qu’elle s’imposait ou dont elle s’autorisait lui faisait-elle un devoir de raconter tout au long ces mésintelligences en les justifiant à son avantage, alors qu’il eût suffi, s’il était nécessaire, de les indiquer d’un mot ? En quoi importaient-elles à la postérité ? C’est l’excès de la préoccupation personnelle qui l’aveugle. Avant Rousseau, qui aurait conçu la pensée d’honorer à ce prix sa propre mémoire ? On regrette de trouver chez Mme Roland ces « inadvertances de cœur » que Sainte-Beuve reproche si justement à Chateaubriand, un autre élève de Rousseau, parlant de ses père et mère « avec une dureté toute féodale. »

Parmi ses sentiments cependant, celui du bonheur domestique est l’un de ceux que Mme Roland se félicite, non sans raison, d’avoir le mieux connu et le plus goûté ; et — singulière illusion de l’enthousiasme — c’est Rousseau