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Sans doute elle avait une trop juste intelligence de la complexité de la vie morale pour vouloir priver l’âme humaine du ressort de la sensibilité. Elle lui accorde sa part légitime. « Pour ajouter aux synonymes mener et conduire, écrivait-elle à l’occasion d’une de ces observations sur la langue qui lui servaient à éclaircir sa pensée, il me semble qu’on pourrait dire : dans un ménage bien assorti, la femme doit mener et le mari doit conduire ; l’un tient au sentiment et l’autre à la réflexion. » C’est la pensée même et presque l’expression de Rousseau. Ailleurs elle établit entre le sentiment et la réflexion une sorte de comparaison où ce n’est pas à la réflexion que reste l’avantage. Elle confesse nettement que le sentiment est « une lumière qui précède la raison et qui prépare l’éducation. » Elle a elle-même exprimé en perfection les sentiments les plus délicats. Quoi de plus exact tout à la fois et de plus touchant que ces remarques : « Certains attachements sont comme en réserve dans notre cœur ; on ne les découvre que par les regrets » ; — « Beaucoup de gens n’ont rien pour nous dans le cœur que ce que nous y mettons chaque jour : il faut donc bien se garder d’y verser de l’humeur ou de l’amertume » ? Ses Notes sont remplies d’observations de ce genre, fines et émues, sur les traverses ou les bonheurs de la vie.

Mais, tandis que Rousseau affranchit la sensibilité de tout frein, Mme Necker la règle. « Je tousse toujours un peu, ma petite, écrit-elle à Germaine, qui touchait à ses treize ans ; mais j’aimerais bien que tu ne t’exagérasses rien, même en matière de sentiment. Tu sais qu’il faut toujours faire sa cour à cette bonne raison que j’aime tant, qui sert à tout et ne nuit à rien. » L’