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leur aurait été difficile de trouver mauvais qu’elle eût été la première à concevoir le projet d’élever une statue à Voltaire ; mais ils étaient tentés de lui reprocher de ne pas mettre dans ses relations assez de choix et de rechercher indifféremment les philosophes et ceux qui partageaient sa foi, les femmes dont le commerce l’honorait et celles qui ne pouvaient que la compromettre, Mme de Mirepoix et Mme de Marchais, Mme de Beauvau et Mme Lecomte ou Mlle Clairon. « Il y a ici, écrivait Diderot à Mlle Voland avec son sans-façon avantageux, il y a ici une Mme Necker, jolie femme et bel esprit, qui raffole de moi ; c’est une persécution pour m’avoir chez elle ; Suard lui fait sa cour ; Thomas l’adore, Buffon la patronne… »

Cependant personne ne s’y trompait. En même temps qu’elle s’étudiait à sacrifier aux grâces et s’attachait à meubler son salon de tout ce que la haute fortune politique de son mari lui permettait d’y attirer d’hommes illustres, Mme Necker se montrait jalouse de conserver le fonds de sagesse, presque de rigorisme, qu’elle devait à son éducation première. Tout, chez elle comme en elle, respirait la dignité. Personne n’eût osé prendre à sa table les hardiesses ou les libertés d’allure des dîners du Bout-du-banc. Le débraillé, le décousu était proscrit de l’entretien, comme le luxe de la cuisine. Simple était la chère et graves les propos. Mme Necker se faisait de la conversation ainsi que de toutes choses une idée élevée. Elle en assimilait la direction au gouvernement d’un État. « Le grand secret de la conversation, disait-elle, est une attention continuelle, de façon à éviter les traverses et les alanguissements ;