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on parle bien de la vertu : elle ressemble à l’Apollon de Délos, qui ne dictait ses oracles que dans une caverne où ses rayons n’avaient jamais pénétré » ; ou encore : « On peut comparer les penseurs comme Diderot à Deucalion, qui jetait les pierres derrière sa tête pour en faire des hommes et ne regardait pas quelle forme elles prenaient. » Et cependant, pour avoir droit de cité parisienne, il manque à cette manière étudiée, à ce style étoffé je ne sais quoi de léger, de vif, de prime-sautier, le mouvement qui séduit, le trait qui enlève. La langue de Mme Necker resta laborieuse : on croirait qu’elle a toujours besoin de traduire ce qu’elle veut faire entendre. Elle disait elle-même « qu’elle ne posait pas la plume avant d’avoir réussi à conduire sa pensée jusqu’à l’image et à la colorer, » et elle abuse des comparaisons et de l’antiquité. Mais, pour être trop compliquée dans l’expression, trop concertée dans le tour, sa pensée n’en est pas moins presque toujours admirablement judicieuse : elle donne confiance. Volontiers indulgente par équilibre de raison, si Mme Necker accordait aisément aux autres ce qu’ils réclamaient eux-mêmes ou ce que leurs amis réclamaient pour eux, elle n’était pas dupe. À rassembler les indications dispersées dans ses Souvenirs, on retrouverait plus d’un portrait du temps fidèle et piquant. Nul peut-être n’a mieux jugé dans son ensemble si ondoyant Mme Geoffrin, l’amie de ses dernières années comme de ses débuts, cette femme singulière, toute en nuances, en contrastes : mariée à un manufacturier à qui on pouvait faire lire trois fois de suite le premier volume des Voyages du Père Labbat sans qu’il s’aperçût de rien sinon que l’auteur se répétait un peu, et frayant de