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et qu’on en prenait des copies à l’usage des privilégiés. Ainsi faisaient avant elle Mme de Sablé, Mme Lafayette, Mme de Sévigné ; ainsi avaient fait Fleury et Fénelon lui-même pour leurs Traités sur l’éducation des filles. C’était une distinction de ne pas être dans la main de tout le monde : « une femme de condition écrire des livres ! comment soutenir cette infamie ! » Mais on était d’autant plus jaloux de se parer pour faire figure. Mme de Lambert y mettait une coquetterie raffinée. « L’art le plus délicat, écrivait-elle, ne se fait pas sentir, et, d’ordinaire, les femmes ne lui doivent rien : pourquoi trouver mauvais qu’elles aient un esprit qui ne leur coûte rien ? » Précepte admirable, mais qu’elle ne se croyait pas tenue de s’appliquer. Il n’est pas de femme peut-être de qui on puisse moins dire ce qu’on disait de Mme de Caylus : « Elle n’a point tâché. » Elle avait naturellement la sagacité et l’agrément ; elle en abuse : il est telle définition, telle remarque, telle image qu’elle poursuit, pour ainsi dire, de traité en traité, et où elle ne parvient à se satisfaire qu’à la troisième ou à la quatrième épreuve. Cet effort redoublé donne parfois de la vigueur à la pensée que la réflexion a nourrie. Mais ce goût des « grâces fines, des plaisirs à part qui ne sont que pour les délicats » a aussi ses dangers : la nuance arrive à être si ténue qu’il semble que l’idée manque de corps.

Ce travail de recherche avec ses inégalités de résultat est d’autant plus sensible chez Mme de Lambert qu’elle avait à cœur de tirer parti de toutes ses ressources. Elle diffère en cela de ses plus illustres contemporaines. Mme de Tencin, Mme Geoffrin, Mlle de Lespinasse, Mme du Deffand épuisaient au jour le jour «