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entre deux eaux l’invitaient à n’en rien faire. Bourrades et politesses, on arriva enfin devant le bûcher. Nouvelle lutte. Dans son rôle, monseigneur ignorait s’il devait ou non accompagner le moine sur les madriers. À tout hasard, il bondit avec sa queue de vache sur les tonneaux ; ceci déplut à plusieurs : comment plaire à tout le monde ? Les enfants le tirèrent à eux par sa dalmatique, mais il fut plus fort que la dalmatique. À son tour le moine se dévoua. Mal à l’aise, ahuri, estropié, gauche, applaudi, il grimpa comme un chat noir sur l’échafaudage. Mais, son point d’appui manquant, il glissa ; il serait tombé sur les fascines, triste augure pour un théologien, si le bras robuste de monseigneur ne l’eût saisi par le collet et ramené au niveau des madriers. En pareille déconvenue, un moine n’a guère plus de dignité qu’un sac de charbon. Après s’être essuyé les genoux, le nôtre s’inclina devant la multitude, dont la première vue le glaça jusqu’à la moelle des os. C’est une sensation commune aux gens qu’on va pendre et aux harangueurs populaires de frémir à cette élévation isolée.

— Tiens ! ils sont deux là-haut. Qu’est-ce que cela signifie ?

— Que le véritable parle !

— Que le faux descende !

— Quel est le vrai ?

— Qu’ils restent tous deux !

— Suis-je ou non le cardinal, vous qui voulez que je descende ?

Le moine était confus dans l’âme. Il commençait à goûter le fin de la popularité. Dieu sait ce qu’il serait advenu