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appelait au dehors, lança sur la table du cabaret la valeur des pots de bière. Il sortit enveloppé dans son manteau.

Il était nuit.

En ce moment même des hommes et des enfants arrivaient par bouffées tumultueuses sur la place de Maximilien ; qui avec des fascines sèches, qui avec des fascines allumées, qui avec des brassées de chaume arrachées à de vieux toits, tous avec quelque combustible. Ils affluaient de tous les points.

À l’époque triste de pénitence où l’on vivait, il était difficile d’imaginer quelles réjouissances permises par l’Église le peuple était autorisé à célébrer.

De fagot en fagot, un immense bûcher s’était formé au milieu de la place. L’art des inquisiteurs aurait trouvé sans doute à critiquer la main inhabile qui l’avait dressé, mais ce désavantage était bien compensé par l’effet pittoresque produit par le pêle-mêle de tables vermoulues, de chaises boiteuses et défoncées, de bancs fracassés, de bois de croisées, de panneaux encore armés de leurs gonds rouillés et de leurs serrures pendantes, de poutres arrachées, qui s’étaient coalisés pour alimenter le feu.

Ce qui proposait une énigme à la curiosité, c’était le rapprochement de deux madriers qui portaient sur l’appui chancelant de deux tonneaux de bière.

Des hommes armés de torches veillaient autour du bûcher.

Rien n’attire la foule comme la foule ; le feu n’aime pas plus l’huile. Par toutes les issues s’épanchent en grondant des torrents de curieux, de désœuvrés, de femmes qui, par devoir, ne pouvant quitter leurs maisons, les entraînent au