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et des chants. Oh ! je ne manque pas de justice ; mais vous ne connaissez donc pas Rome, docteur ?

— Très-bien. Je l’ai visitée avec Carlostadt, il y a de cela quelques années.

— Je ne crois pas que vous soyez resté indifférent à cette misère au milieu de ce luxe, à ces mendiants sur le corps desquels passent les cardinaux pour ne pas salir leurs sandales dans la boue, à ces chrétiens plus esclaves que sous les tyrans de Rome, qui, s’ils avilissaient l’homme, ne lui donnaient pas du moins le baptême. Qu’en dites-vous ?

— Je vous dirais qu’un soir Carlostadt et moi avions faim, mais une faim de moines qui n’ont pas mangé depuis vingt-quatre heures. Nous jeûnions depuis ce temps-là ; nous aurions mangé une cathédrale. Où aller sans argent, dans la ville éternelle qui ne nous avait jamais paru si éternelle ? Il était tard ; les couvents étaient fermés. Point de ressource. Carlostadt bâillait de faim et de sommeil ; moi, de sommeil et de faim. Passe un abbé. Les solitudes s’attirent, a dit l’Écriture. Abyssus evocat abyssum. Le vide de l’abbé heurta le nôtre. Son estomac cria : j’ai faim, et le nôtre répondit : je n’ai pas soupé.

Nous étions arrêtés en ce moment devant la cuisine d’un rôtisseur, regardant tourner sur un feu ardent comme celui qui dévora Coré, Dathan et Abiron, trois poulardes magnifiques. Suivez-moi, nous dit l’abbé, et il entra chez le rôtisseur, qui jeta aussitôt sur la table une nappe blanche et y posa trois bouteilles de vin.

— Rôtisseur ! dit l’abbé.

— Plaît-il, seigneur abbé ?