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bien. La fatigue de l’un y corrige l’exaltation de l’autre.

Le docteur entra dans sa cellule en secouant la neige amassée au bas de sa robe de bure noire. Ulrich laissa voir sur ses traits, quoique faiblement éclairés par la lumière placée tout au bout de la cellule, la satisfaction qu’il éprouvait de se trouver en présence de l’homme dont la parole l’avait si profondément remué. Avec une naïveté bien pardonnable à sa jeunesse, il reporta plusieurs fois, dans une préoccupation silencieuse, son regard, où se peignait son étonnement, du crâne pensif du moine, de son front à demi dans l’ombre, aux murs blancs, tout blancs, de la cellule. Sur ce petit lit paré d’une tenture verte repose le moine, quand le sommeil ne le courbe pas sur la bible, oreiller fécond, en rêveries. La bible est là, ouverte, sur la table.

Le moine étendit les bras et sembla appeler le jeune seigneur à s’y jeter.

— Quoi ! vous auriez oublié, seigneur, celui qui vous conduisit par la main dans les beaux jardins de poésie de Virgile et d’Horace, — votre professeur ?

— C’est vous, mon père ! Vos traits seuls s’étaient effacés de ma mémoire ; le souvenir de vos doctrines pieuses et de vos leçons éclairées y est encore. J’étais si jeune.

— Si enfant ! dites, mais sérieux enfant. Tant de raison me charmait, m’effrayait parfois. Vous étiez mon meilleur élève.

— Je serai toujours le plus reconnaissant.

Ils s’assirent sur deux tabourets au milieu de la cellule.

Le mobilier est d’une simplicité nue : une table aux supports usés par le frottement des genoux ; quelques ta-