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Celles-ci sont déjà polies. Deux moines les étendent sur la pierre, dix les détirent, vingt les découpent, de plus habiles les collent au dos de l’in-folio de parchemin ; de plus ingénieux encore les gauffrent, les sillonnent d’un fer brûlant, et dans leur tissu élastique creusent des miracles de moulure où coule ensuite un rayon d’or. Ce sont des fruits, des anges en saillie ; des pierres précieuses s’y enchâssent, topaze ou rubis. Sur cette étagère s’empile le catéchisme du paysan, rêche et jaune ; sur celle-ci le bréviaire du pauvre moine, noir et en peau d’âne sentant encore son origine ; sur ces tablettes les livres d’oraison de l’abbesse, tout mignons et tout moirés, touffus de rubans. Respect ! voici le missel de la cathédrale, écrasé sous les fermoirs d’or qui le boutonnent. Heureux l’empereur qui, au jour de son couronnement, posera ses lèvres sur cette riche reliure.

Regardez par ce trou que le vent a percé dans la toile du châssis : encore des moines qui gravent sur du bois des caractères de l’alphabet ; ils retiennent leur haleine, écartent leur barbe pour achever quelque majuscule ambitieuse, fleurie et gracieuse comme un bouquet de mariée. Chacune de ces doctes puérilités absorbera un hiver de méditations. De l’établi du graveur la planche passe au marbre de l’imprimeur, qui l’enduit de noir et de rouge et l’applique sur le vélin. L’œuvre est parfaite maintenant. Ainsi, dans chaque réduit d’où rayonne la pointe d’une lumière, un métier s’exerce, un art se perfectionne, une science se fixe. Le mouvement qui se révèle dans ces ruches, la cloche de la prière qui leur rappelle Dieu de loin en loin, forment à l’intérieur du monastère un mélange d’activité et de recueillement dont l’âme et le corps se trouvent