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d’acheter les indulgences de Rome à cette même condition, le premier devoir du chrétien étant l’humilité, qui renferme la soumission exclusive à notre saint-père, l’obéissance au prince.

Ici, quelques applaudissements s’échappèrent de la nef occupée par les étudiants ; mais, contenues aussitôt par la présence de l’électeur, leurs mains bruyantes et élevées se turent. On eût dit qu’une nuée d’oiseaux avait traversé l’église. Après, le silence fut plus profond.

— Les indulgences ne sont donc, poursuivit le moine, sans paraître avoir remarqué l’interruption des étudiants, que pour la moitié dans notre pardon, frères en Jésus-Christ : gardons-nous de proscrire l’une ou l’autre de ces deux moitiés ! C’est le poisson que vous pêchez dans l’Elbe : vous l’appelez brochet, très-bien. Si on vous le présente sans tête sur la table, ce n’est plus un brochet, n’est-ce pas ? Si, on vous l’apporte sans queue, ce n’est pas non plus un brochet. Il faut qu’il ait tête et queue pour être brochet. N’admettons donc les indulgences que précédées, accompagnées et suivies des bonnes œuvres. Rome, d’ailleurs, aime les bonnes œuvres autant que vous aimez les brochets.

Cette fois les acclamations, plus difficiles à réprimer parce qu’elles partaient, de la porte de l’église, où la populace wittenbergeoise était loin de l’Électeur, éclatèrent en triples salves et en cris rauques et sauvages. Pêcheurs, paysans, bûcherons, auditoire debout, crépu et armé de bâtons, frappèrent les dalles de leurs sabots, l’air de leurs hurlements : c’était une mare de sangliers endormis ; une pierre était tombée dans la mare. Rejetés de l’église par le