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des lumières, les dames de Wittenberg choisissent, sans embarras pour leur timidité, les places les plus convenables à leurs toilettes et à leur piété. Celles de la noblesse sont rangées en cercle et avec la symétrie de l’étiquette allemande, la plus sévère du monde, au pied de la chaire, en face de laquelle deux fauteuils rouges surmontés de deux écussons, celui de l’électeur et celui de sa femme, sont isolés.

Le premier rang est occupé par les barons, costumés avec magnificence, portant leur souveraineté sur leurs visages, et s’appuyant sur leur épée comme sur leur droit : des lions au repos. Pieux et forts, visitant Dieu dans son sanctuaire comme un chef militaire sous sa tente, tout armés, ils sont gênés, hommes de fer qu’ils sont, dans la collerette d’apparat, aux tuyaux triples et droits, dans le pourpoint de soie bariolée, lardé de taillades par où s’échappe en écume de savon la toile blanche ou la dentelle parure de femme sur laquelle du haut de leur barbe ils laissent tomber leur mépris. Quelque peu de la dureté du barbare lutte encore dans leurs traits avec la soumission du chrétien. Ils portent la croix, mais la croix tient à leur épée ; c’en est la poignée.

Autre souveraineté dont ils sont fiers, l’autorité paternelle est là toute vivante avec eux : derrière leurs fauteuils, debout, attentifs, respectueux, quel que soit leur âge, leurs fils sont rangés. Touchante et grave hiérarchie ! souvent le père, vieillard, a un vieillard derrière lui. Tout est là dans un ordre simple et parfait : Dieu, qui est l’autorité, le prince qui est le pouvoir, les barons qui sont la force, leurs fils pour la perpétuer.