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pauvrement vêtus, nu-jambes, chaussés de sabots bourrés de paille pour combler la différence entre le pied trop petit et le sabot trop large. Il faisait déjà froid, et leurs nez étaient bleus, leurs mains aussi ; avec cela ils s’amusaient ; ils étaient venus tout exprès à Wittenberg. La Toussaint et les prédications étaient deux plaisirs auxquels ils n’avaient pas résisté. C’étaient de véritables ours descendus de leurs arbres, sortis de leurs tannières ; et leurs femelles et leurs oursons les avaient suivis, qui broyant un pain dur, qui buvant de la bière dans un pot, tous croassant, glapissant, hurlant de joie, si venait à passer un cheval dont le galop les couvrait de boue, ou des soldats qui leur donnaient des coups de bois de lance dans le dos. Tout cela les réchauffait, les divertissait, les réjouissait : longtemps, ils se souviendraient de la fameuse fête de tous les saints dans la magnifique ville de Wittenberg.

— Baer ! as-tu vu ce seigneur ? Il est doré comme un calice.

— Je le connais beaucoup, moi, ce seigneur, répondit Baer avec fierté.

— Thor, entends-tu ? Baer qui connaît ce seigneur !

— Pourquoi non, puisque je lui appartiens ? riposta Baer avec suffisance.

— Toi ?

— Sans doute, — et si bien qu’il a donné six chiens danois pour m’avoir.

— Ohé ! les autres, — Baer qui croit valoir six chiens danois ; dis donc six pourceaux.