Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une prière antique, les enfants, comme une leçon longtemps répétée à leur coucher, les femmes en passant le bras autour du cou de leurs maris, les jeunes filles en tendant leurs mains chastes à leurs amants, répétèrent : En Suisse ! en Suisse !

Et les incendiés se dirigèrent vers la grande route de la forêt, et on put voir distinctement alors que chacun d’eux emportait, outre ses instruments, ses dieux domestiques ; un vase de terre bleu, un four en terre, et un de ces baquets où les habitants de la forêt ramollisent le bois dans lequel ils taillent ces mannequins grotesques dont les foires de l’Europe s’enrichissent.

Et lorsque les exilés furent arrivés à un angle tournant de la route, au moment de ne plus voir leur ville, ils se placèrent de front, puis se jetèrent à genoux la face contre terre, comme s’ils venaient d’inhumer leur aïeule. Chacun d’eux prit ensuite une poignée de terre, un peu de terre de la patrie, la mit dans un petit sac, posa le sac sur le cœur, se retourna vers son compagnon, et lui dit, en lui faisant baiser la semelle de son soulier : « Frère, le pauvre homme ne peut plus être guéri dans ce monde. »

Et une dernière fois on entendit, mais d’un ton qui alla toujours en décroissant : En Suisse ! en Suisse ! Et une ville et une population n’existaient plus en Allemagne. Ulrich passa au galop au front dès pèlerins, et s’enfonça dans la forêt ; les pieux voyageurs reprirent leur marche, diversement émus de l’accident qui l’avait retardée.

Trois jours après, ils étaient dans la très-commerçante cité de Nuremberg, dont c’était la foire ; Nuremberg, rendez-vous de tous les facteurs du nord et du midi, marché