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perdu les dents, les cheveux, et quelquefois l’intelligence. Il allait ensuite se remonter dans les salons des amis qu’il s’était faits ; et là on le regardait déjà non-seulement comme un homme fort aimable, mais encore comme un des plus ingénieux physiciens, comme un des plus habiles chimistes de l’époque. Dans l’art de flatter, il n’avait pas besoin des conseils de Marc. De préférence il côtoyait les hommes ancrés et amarrés au port, les femmes mûres ; il ne critiquait rien, pas même le mal, de peur d’avoir à se rétracter un jour. Non-seulement il adorait le soleil levant, mais tout ce qui se levait à quelque point ; que ce fût de l’horizon, la grande ourse ou la croix du sud.

Un soir, selon son habitude, il était sorti pour aller trôner dans le monde, laissant son ami, qui mangeait un hareng sur son enclume, pour tout dîner. Ce repas achevé, Marc sentit un petit frémissement dans un coin du cerveau ; c’était l’idée qui sonnait, la grande idée, celle qu’on cherche si longtemps, qu’on finit par aller la chercher dans le tombeau. Il tenait sa découverte ! il la saisit, l’étale sur le papier avec deux mots, quatre chiffres. Il traduit avec quelques corps chimiques ce langage inspiré, et le phénomène vient au monde, il est conçu, vivant, il est palpable. C’est une réalité. Marc a vaincu la difficulté. Le gaz, la lumière, voyagera sur les mers, où il ne fera plus nuit. Quel long soupir il exhala !

L’émotion l’asphyxiait, il avait besoin de prendre l’air, de se mêler à la vie des autres hommes pour ne pas mourir foudroyé. On ne touche pas impunément aux secrets de Dieu. Et, comme Archimède courant tout nu dans les rues après avoir résolu son fameux problème, comme