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— Cette jeune personne est, je crois, votre blanchisseuse, lui dit le prince. Mais elle est ravissante.

Reine s’était éloignée.

— Si je disais jamais à ma cour, avec qui j’ai vu danser un des banquiers les plus puissants de la terre, on ne le croirait pas. Mais continuez, je vous prie.

— Prince, lui dit le banquier, en lui serrant la main, votre affaire est faite. Les fonds sont prêts. Je me charge de l’emprunt. J’ai réfléchi, cela me va.

— Je reçois votre parole, répliqua le prince ; mais, je vous en prie, achevez votre galop. Je n’aurai rien vu s’il vous est agréable que je n’aie rien vu.

Deux sourires se rencontrèrent, et le silence et l’emprunt étaient irrévocablement acceptés.

Reine n’était pas restée là pendant le dialogue du banquier et du prince. Dévorée de jalousie, elle alla vers madame Ervasy, qui, plantée au milieu du bal avec Dauphin, ne savait où était passé son mari, emporté dans les bras de sa danseuse. Quand Reine revint à sa place, madame Ervasy la regarda attentivement, afin de deviner, s’il était possible, le secret de cette scène. Ses recherches exaltant la mauvaise humeur de la grisette, celle-ci s’approcha de madame Ervasy, et lui dit : — Madame, je ne suis qu’une grisette, et le monsieur que je viens de vous ravir est mon amant. Y a-t-il une réponse ?

L’apostrophe causa une telle envie de rire à madame Ervasy, et elle s’y abandonna avec tant de naturel, que Reine resta pétrifiée.

— Dauphin ! dit ensuite madame Ervasy à son chasseur, reconduisez-moi à la voiture. Et le rire ne la quitta pas