Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le jour s’écoula, et elle arriva essoufflée, mourant de faim à Montmorency. Elle s’informa auprès de l’aubergiste Leduc, si un monsieur dont elle dépeignit les traits, ne s’était pas présenté dans l’après-midi. Sur une réponse négative, elle dit : Eh bien ! qu’on me serve à dîner dans un cabinet. La plus violente colère, quoiqu’elle affectât un certain calme, conduisait tous ses mouvements. Elle ne voulait pas s’avouer que l’absence d’Ervasy avait rompu tous ses projets. Son dîner fut composé comme s’il avait lui-même dicté le menu. Rien d’omis. Elle fit frapper une bouteille de champagne, et plutôt pour l’honneur que pour le plaisir d’en boire, elle en avala deux verres au dessert. Quand elle quitta la table il était nuit. À l’Ermitage ! se dit-elle ensuite, puisqu’on m’y attend. — À l’Ermitage !

L’Ermitage avait déjà allumé sa ligne de quinquets sous les branches des tilleuls séculaires qui ont prêté leur ombre aux rêveries de Jean-Jacques Rousseau. Chaque gradin de cet amphithéâtre tapissait de spectateurs différents ses talus de verdure. Aux premiers gradins s’étalaient les paisibles amateurs du bal, faisant de l’art pour l’art ; au second, dans une bande de lumière et d’ombre, des buveurs champêtres regardaient le ciel à la manière de Sancho Pança ; au troisième gradin et tout à fait dans l’ombre, ondulaient des groupes d’amoureux. Un peintre flamand composerait de délicieux effets de perspective en s’inspirant de cette montagne animée, qui commence par un bal et se termine par une étoile.

Reine avait mieux à faire qu’à observer ; elle entra dans le bal, et sans se laisser intimider par les regards des commis marchands parisiens, elle en mesura le cercle.