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femme sans s’en accuser au fond de son cœur. Elle était bonne, portée à l’indulgence, mais il ne voyait point là une raison suffisante pour tromper sa confiance. Ses reproches devenaient d’autant plus vifs parfois, qu’il lisait sur le visage attristé de sa femme la peine que lui causait l’altération graduelle de sa santé. Que n’est-elle Reine Linon, se disait-il ; que n’est-elle cette blanchisseuse ! je l’aimerais et mon existence se ranimerait peut-être ! Excellent raisonnement, auquel tant d’autres s’abandonnent. Ils souhaitent que leur femme soit leur maîtresse, ou, en d’autres termes, que leur femme, pour leur être agréable, cesse d’être leur femme. Je ne connais pas de repentir plus ingénieux.

De plus en plus alarmée du dépérissement de son mari, madame Ervasy consulta en secret d’habiles médecins. Chacun d’eux, selon l’usage, conseilla un traitement différent. Il faudrait qu’il voyageât, disait l’un ; il faudrait qu’il eût un enfant, disait l’autre. Nous avons épuisé la ressource des voyages, disait madame Ervasy ; quant à la seconde ordonnance, elle se bornait à l’accueillir en souriant.

Il n’est pas de femme, pour innocente qu’elle soit, à qui l’idée ne fût venue d’inspirer quelque bonne jalousie à Ervasy. C’est un stimulant merveilleux ; on en connaît les miracles. Avec qui monter cette dangereuse comédie ? réfléchit madame Ervasy.

Les plastrons compromettent souvent autant qu’un amant réel. Et puis, mettrait-elle dans la confidence la personne qu’elle aurait choisie ? se demanda-t-elle avec anxiété. Quelle fâcheuse confidence ! Qui l’assurait que le monde,