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La Parisienne bien née est la personne du monde qui sait le mieux attendre. Son impatience ne se trahit par aucune oscillation, par aucun pli ; ses gants seuls savent ce qu’elle endure à ne pas voir s’écarter le mur de bois qu’elle a devant elle. Si on la fait attendre elle commence par mieux assurer ses gants aux jointures, une main relaie l’autre dans ce travail d’imperceptible inquiétude ; l’attente se prolonge-t-elle ? elle porte le bout de ses doigts à ses lèvres et les pince quelquefois jusqu’au sang. Ceci fait, la Parisienne passe ses mains sur ses cheveux, relève sa robe et descend en impératrice sans se retourner, sans montrer la faiblesse d’un arrière espoir.

Depuis une heure, si l’on avait eu quelque motif pour épier le passage d’un ballon à travers les airs, on aurait pu voir une tête de dix-sept ans encadrée à un quatrième étage du faubourg Saint-Honoré, — un quatrième qui valait un sixième — entre un pied d’oranger et d’autres arbustes bien flétris par le hâle de l’automne. Mais qui aurait pu distinguer à cette hauteur Les yeux bleus de lac, les cheveux blonds Véronèse, les jolis bras nus, — quoique l’air fraîchit déjà beaucoup à cette époque de l’année, — le cou florentin de Reine Linon ? Reine Linon, blanchisseuse en fin des meilleures maisons des Champs-Élysées et des hôtels de ce riche quartier où il y a tant d’Anglais, gens fanatiques du beau linge, payant exactement et ne se permettant jamais (ils laissent cela aux commis voyageurs) de faire des cajoleries indiscrètes aux jeunes personnes qui rapportent à domicile les jabots plissés et les manchettes.

Il était six heures, et Reine Linon depuis cinq heures moins un quart n’avait cessé de porter la vue d’un bout à