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nellement, un à un, les électeurs, qui déjà venaient jeter leur vote dans le scrutin. Que de battements de cœur n’éprouvait pas Fleuriot à ce spectacle, où se décidait en silence le fait le plus important de sa vie. Il croyait lire sur chaque visage, dans chaque trait de plume, le nom qu’il tenait tant à voir écrire sur les bulletins. Son beau-père l’encourageait, tout en se levant à chaque instant pour offrir, du tabac aux électeurs, ou leur demander des nouvelles de leur famille. Vers cinq heures, le scrutin fut fermé, et le dépouillement commença.

Surprise renversante ! Le président lit le premier bulletin, et il proclame le nom de M. Richomme.

— Pure fantaisie électorale, murmura Richomme ; écoutons le second bulletin.

Encore le nom de M. Richomme !

— Politesse électorale, dit encore celui-ci.

Fleuriot était étonné, confondu !

Troisième, quatrième bulletin, toujours M. Richomme. Jusqu’au centième bulletin le même nom sortit de l’urne. Quelle singularité, disait Richomme. Rien n’égalait le profond, l’amer désappointement de son gendre.

Au bout d’une demi-heure, la majorité des suffrages était acquise au vieux droguiste, qui se vit complimenté et embrassé par les électeurs présents.

Enfin le président le proclama député de Paris, honneur qui le surprit autant que s’il eût été nommé empereur des Turcs, lui qui s’était donné une peine si grande pour faire élire son gendre. Fleuriot, rouge de honte, s’était esquivé.