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d’une corde mouillée. On le descendit au bout de la rue Saint-Martin. Puissance de la boue natale sur le Parisien ! à la première goutte d’eau (car il pleut toujours quand on arrive à Paris), Richomme se découvrit pour recevoir la rosée sur la tête. À peine fut-il entré dans la rue Saint-Martin, qu’il se sentit déjà mieux. Joie vraie et sentie ! Un fiacre couvrit de boue son pantalon. Richomme sourit et se dit : « Elle et moi nous nous connaissons ; » et son visage resplendit d’un bonheur où il entrait un peu de jalousie, en apercevant, derrière les carreaux d’un confiseur de ses amis, toute la famille à table. Le confiseur était assis au milieu de ses enfants et petits-enfants. Celui-là n’a rien à envier à personne, se dit-il. Là journée a porté son gain ; il a vendu ; il a commercé, il est content : Dieu soit béni !

Arrivé au coin de la rue Saint-Merri, Richomme manqua de force dans les jambes : il y a tant d’électricité dans la joie ! Comment ne pas faiblir ? De l’endroit où il était il distinguait tout ce qu’il y a de grandes renommées en drogueries dans Paris ; le Mortier d’or entre autres ! D’ailleurs ne pénétrait-il pas dans la rue Saint-Merri, corridor sacré des denrées les plus riches du monde, dans la rue Saint-Merri, parvis de sa maison du Balai d’or ! Vingt fois il s’appuya contre, le mur pour ne pas fléchir. Ses yeux s’emplirent de larmes, ses joues palpitèrent quand il vit projetée sur le pavé de la rue la clarté des lampes de son magasin. Il va, il avance, encore un effort ! encore un ! Dieu n’a pas accordé tant de forces à l’homme. Richomme s’évanouit sur le seuil de son magasin.