Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au lieu de douter de la conséquence si grave que Fournisseaux tirait de son renvoi de la maison, Richomme se prit à penser profondément, la tête appuyée sur ses mains qui s’épanouissaient sur ses joues.

Son recueillement fut long ; on eût dit que le chagrin, comme une trombe, grossissait et montait dans sa tête, qui semblait s’alourdir à vue d’œil entre ses dix doigts écarquillés sous ses cheveux gris.

Effrayé de ce silence et de cette immobilité où il n’avait jamais vu son maître, Fournisseaux regretta d’avoir parlé, d’avoir mis un chagrin si amer à ce cœur d’honnête homme. Il aurait bien mieux fait d’accepter son congé sans compromettre la tranquillité de l’ancien droguiste, heureux au fond de sa propriété, heureux surtout de l’ignorance où il vivait de l’état des affaires de son gendre.

Enfin le droguiste releva le front où était empreinte en lignes rouges la longue application des doigts, fronça les lèvres et renfla les narines, comme lorsqu’il apprenait qu’un de ses amis avait fait banqueroute ; et en tendant la main à Fournisseaux de plus en plus désolé d’avoir apporté tant de soucis, il dit :

— Fournisseaux, je te jure sur l’honneur que tu ne sortiras de la maison du Balai d’or que volontairement. Maintenant, dis-moi le reste ; tu peux parler.

Après avoir essuyé une larme avec le coin de la serviette d’une manière à la fois grotesque et touchante, Fournisseaux reprit ainsi :

— À dater du jour où vous avez quitté la maison, votre gendre a commencé à tout changer, à tout gâter,