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de vin blanc, qu’il avait si fièrement avalé avant de partir. Ses tempes et ses oreilles sifflaient ; parfois la neige lui paraissait rouge, et il tremblait. Au bout de trois heures il rentra à la maison, les jambes roides, le nez bleu, les lèvres gercées et les cils cristallisés. Un grand feu qu’on alluma bien vite au salon, un bouillon succulent, une côtelette et du café, relevèrent graduellement la vitalité si compromise de notre heureux propriétaire. Sa femme se garda bien de lui demander si la chasse avait été productive. De lui-même il s’imposa la poignante modestie d’avouer qu’il n’avait pas même déchargé son fusil pendant ces trois heures de marche. Et pour être juste il fallait dire qu’il n’y avait pas trace de gibier, dans l’air à cause de l’excessive rigueur du temps. Ce jour-là, Richomme ne quitta pas son bon fauteuil près de la cheminée. À son attitude pensive on voyait qu’il revenait déjà sur quelques-unes des erreurs où tombent d’ordinaire les gens de la ville en se peignant avec trop d’avantages les voluptés champêtres. Néanmoins Richomme, en esprit éprouvé, se mettait au-dessus de beaucoup de petites déceptions, inséparables après tout du chapitre des illusions humaines. L’hiver est rude partout, se disait-il, tout en ne repoussant pas le souvenir de sa chambre à coucher de la rue Saint-Merri, d’une température si bonne et si égale que des oranges y auraient mûri. Toutefois, comme on touchait, au printemps, l’air, au bout de quelques jours, se détendit, la neige fondit ; sans être ardent, le soleil commençait à agir d’une manière sensible sur la végétation. Richomme sortit pour visiter en détail sa propriété des Petits-Déserts, qui offrait, il s’en convainquit, les avantages dont Fleu-