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Pour terminer une si belle journée politique, Fleuriot proposa à sa femme de lui lire la première partie de sa brochure, déjà tirée en épreuves.

Ils s’assirent auprès de acheminée : Fleuriot commença la lecture. À la première page, Lucette ouvrit de grands yeux pour prouver qu’elle était bien attentive. Elle crut comprendre.

Dès la troisième page, elle s’avoua que c’était trop beau pour elle. Elle admira son mari.

Vers le quart de la brochure, elle s’imagina que de la cendre lui était volée dans les yeux. Elle se les frotta.

Cette cendre était encore de l’admiration, mais sous les traits du sommeil. Malheureusement Lucette ignorait que c’est une faute impardonnable de céder à cette espèce d’estime pour un auteur, fût-on sa femme.

De page en page, la léthargie fut plus pressante, et Lucette n’y résistait pas, soit en se pinçant les côtes, soit en se mordant les lèvres, soit en retenant longtemps sa respiration. Bref elle s’endormit.

Lorsqu’en relevant la tête, Fleuriot s’aperçut que sa femme dormait, il fut douloureusement blessé dans son orgueil de mari et de candidat à la députation. Quel avant-goût du succès ! Il n’était pas possible que des phrases si éloquentes, des pensées si justes produisissent cet effet-là. Sa femme, à coup sûr, manquait d’élévation dans l’esprit ; la condition du père Richomme avait à jamais perdu le goût de Lucette. C’est ce que pensa Fleuriot de sa pauvre femme, qu’il laissa, pour la punir, endormie au coin du feu.

Sous tout écrivain blessé, quel qu’il soit, il y a un Néron.