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le dragon rouge.

De la droite à la gauche du marquis de Courtenay, chaque cavalier est le voisin officieux d’une dame. Ces dames sont belles ; leurs joues s’allument ; leurs dents brillent en touchant le cristal plein d’un vin chaud, plein de mille lueurs répandues ; vins et lueurs elles semblent tout boire, et leur imagination se colore de ces feux et de ces clartés, comme font leurs diamants. Les diamants serpentent entre leurs cheveux ; ils entourent leurs bras pour les rendre plus pâles et plus doux ; ils brûlent à leurs oreilles comme des lampes aux deux côtés d’une madone.

Penchées sur leurs beaux cavaliers aux cheveux dorés, au visage long, à la barbe de gazelle, elles les raillent, les désespèrent, les ramènent ; elles les tiennent sous leur domination par leur magnétique regard.

Le marquis de Courtenay est là comme le roi David, auquel il fallait cinq mille femmes pour réchauffer les extrémités. Il ne lui faut pas cinq mille femmes ; mais cette vie et cette société lui sont devenues indispensables, à lui, jeune vieillard, gâté par les fêtes ; il ne vit bien que dans la nuit et à table ; heureux des excès des autres ; de moitié, par la pensée, dans ce qui se dit de spirituel autour de lui. Comme il représente bien la France ! Du reste, le mépris pour les autres nations est si profond que celui des convives qui, dans l’ivresse, s’oublierait au point de ne pas s’exprimer en français, serait sur-le-champ exilé de la table.

Un mets plus précieux fut encore offert par le marquis de Courtenay, supérieur, en cette circonstance, au roi Louis XIV lui-même. Au dessert, des domestiques apportèrent une aiguière pleine de la nouvelle monnaie d’or frappée, pour la première fois, à l’effigie de Louis XV. Montrant aussitôt l’usage qu’il désirait qu’on fît de ces mets, peu habituellement servi sur la table même des riches, le marquis plongea sa main dans l’aiguière et la retira remplie de pièces de vingt-quatre livres et de quarante-huit livres. Il pria avec instance qu’on