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le dragon rouge.

demanda en tremblant à Casimire si elle l’autorisait à lui écrire pendant son séjour à l’armée.

— Je vous le permets de grand cœur, répondit Casimire ; mais je n’ai pas besoin de vous dire que vos lettres, puisqu’elles ne passeront pas par les mains de mon père, devront se borner à me donner des nouvelles de votre santé et à me parler des événements du siège auquel vous allez prendre part. Mes vœux vous accompagneront.

— Vous serez obéie, mademoiselle, murmura le commandeur, qui se retira à pas lents, les yeux dirigés sur les yeux de Casimire.

Casimire, sous l’impression du rôle naïvement faux qu’elle avait joué, resta les yeux tristement fixés sur la portière agitée par la sortie du commandeur.

Comme la nuit venait, Casimire, après quelques larmes données au souvenir de cette scène ou plutôt de ce combat, se souvint du travail que son père lui avait commandé. Ce fut avec un dégoût profond qu’elle se baissa pour prendre la feuille tombée sous la table, où, dans ce moment, elle aurait voulu la laisser, et qu’elle reprit la plume. Les malédictions proférées par le commandeur contre les traîtres retentissaient encore à ses oreilles ; peu à peu, cependant, l’esprit, cet esclave de l’habitude, se laissa dompter, caresser, adoucir, et la plume courut sans hésitation jusqu’au bout de sa tâche.

La chaleur de la tête opéra, comme chez tous les écrivains, une réaction au cœur, et Casimire partagea avec moins de force les convictions du commandeur ; comme c’était pour lui qu’elle les faisait plier en ce moment, elle le trouva d’abord exalté, enfin dur, enfin injuste. Toute la nuit son cerveau bouillonna. Au jour, quand M. de Canilly se présenta de nouveau au cabinet, le manifeste était écrit dans les deux langues, ainsi qu’il l’avait désiré. L’un et l’autre, le manifeste français et le manifeste espagnol, furent trouvés parfaits.