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le dragon rouge.

trompait pas d’un brin. Oui ! et, vrai comme j’ai donné le plus pur de mon lait à celui qui sera un jour notre bon roi Louis XV, je n’étais pas à quatre enjambées de l’amour. Les bals de l’arrière-saison revinrent, et crac ! je fus prise au traquenard, sans pouvoir remuer ni pieds ni pattes : j’étais courbaturée d’amour. J’aimais. Rose, la batelière, avait raison, et moi j’ai raison aussi quand je te dis que notre Casimire a quelque chose d’approchant.

— Casimire oserait aimer ! elle si sérieuse et si froide, quand elle a tant d’occupations graves dans la tête !… Tu déraisonnes, Marine.

— Oh ! notre bonne Dame de Nanterre ! Tu te figures donc, monsieur le comte, qu’elle viendrait te demander la permission d’aimer un de ces gentils messieurs qui ont des yeux bleus comme des poissons.

— Voyons, voyons, reprit le comte ; je n’admets pas qu’une Canilly éprouve une faiblesse coupable pour un étranger.

— Bon ! tu crois donc qu’elle demandera à un jeune homme de son goût, avant de l’aimer, si son terroir produit du blé ou du sarrasin ?

— Je me serais bien aperçu pourtant…

— Toi, t’apercevoir ! Mais tu la laisses libre d’aller où il lui plaît, de bal en bal, de fête en fête ! Ce n’est pas moi, qu’on relègue dans l’antichambre avec les pelisses et les manchons, qui peux voir, dans le bal, celui qui lui serre la main, ou celui qui, en dansant, lui parle de tout autre chose que de la danse.

— Oui, reprit soucieusement le comte de Canilly, forcé, par le gros bon sens de la nourrice, à s’avouer qu’il avait pu fort bien apprendre à sa fille comment on se conduisait à la cour, mais non comment on évitait une passion ; oui, je ne la surveille pas assez. Je crois que mes occupations m’ont trop empêché jusqu’ici de l’accompagner dans le monde. Mais, s’interrompit-il aussitôt, il me semble que j’ai chargé MM. de Courtenay d’être ses cavaliers, de me remplacer enfin.