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le dragon rouge.

main droite, l’autre à sa ceinture, le commandeur alla droit à la louve. La bête n’entendit pas tout de suite venir à elle, tant les os du cheval craquaient avec bruit sous ses dents. Cependant elle finit par entendre ou par sentir. Sa surprise ne fut pas de l’effroi ; elle posa une patte sur le ventre à demi décharné du cheval, tourna la tête sans tourner le corps, et darda deux rayons rouges sur le visage du commandeur.

Le commandeur s’était arrêté à dix pas environ de la louve. L’animal ne mangeait plus, il regardait toujours. On l’entendait respirer, et sa respiration, visible comme celle d’un cheval, au sortir de ses naseaux, l’hiver, courut chaude et brune sur la couche mate de la neige. À travers ce brouillard qu’elle fit, elle passa la tête. Ce fut comme une auréole tout ensanglantée par le rouge de ses yeux, ronds comme deux cerises. On voyait luire ses dents, auxquelles pendillaient des lambeaux du souper.

Le commandeur fit feu.

La balle du pistolet brisa toutes les dents de face de la louve, qui hurla et se dressa horriblement sur ses pattes de derrière. Son ventre était velu comme celui d’un ours, et ses nerfs, qu’on voyait, étaient tendus comme des cordes. Retombée sur elle-même, la louve enfonça trois fois dans la neige ; au quatrième bond elle faillit étouffer de son haleine formidable le commandeur qui, à bout portant, lâcha la détente de son second pistolet.

Le coup ne fut pas mortel.

L’animal enfonça alors ses ongles dans l’épaule gauche du commandeur.

Il y eut dans l’air un hurlement et un cri.

La louve avait poussé ce hurlement parce que le commandeur, après avoir rejeté la jambe droite en arrière et pris du champ avec son bras droit, avait plongé son épée tout entière dans le gosier de la louve. Elle était morte.

Le commandeur courut aussitôt vers son frère et lui dit :