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le dragon rouge.

tous les deux aux autres hommes. Don Alvarès m’a éblouie, étonnée, troublée, mais il me semble qu’il n’a pas en lui le charme tranquille et continu du seul homme avec lequel mon inexpérience a pu le mettre en parallèle. La femme de don Alvarès serait brillante, enviée ; mais celle qui serait devenue la compagne de mon oncle eût été assurément très-heureuse. »

— D’où lui viennent toutes ces pensées ? dit la marquise, sur qui retombait le poids de la périlleuse simplicité de son enfant. Elle avait oublié qu’on n’imposait pas une conduite sans connaître toutes les faces d’un caractère, et que les maximes tombent toujours à côté sans cette étude. Son père, le comte de Canilly, lui avait dit : « Sois fausse, dissimulée, subtile, » et pour n’avoir pu l’être complétement elle s’était perdue. Elle avait dit à son tour à sa fille Léonore ; « Sois franche, » et, pour ne pas lui avoir indiqué le point où devait s’arrêter la franchise, sa fille s’abandonnait aux séductions peut-être criminelles du premier corrupteur venu.

— Sachons tout, reprit-elle tristement.

« Si ce mot mariage est venu sous ma plume, c’est que don Alvarès m’a priée de lui accorder la permission de vous écrire ou d’aller bientôt à Paris pour vous demander ma main. Je n’ai pas refusé, et il a paru bien heureux de ce consentement. Pourquoi, chère maman, n’ai-je pas été élevée à le connaître, à le voir souvent, à l’apprécier et à l’aimer, d’abord d’amitié tendre, comme j’aime mon oncle, avant de l’aimer comme on doit aimer quand on se marie ? Vous déciderez de son sort et du mien. Il dit qu’il mourra si vous rejetez ma demande, et, comme il pleurait en me disant cela, j’ai pleuré aussi. Je vous ai montré, chère maman, le fond de mon cœur ; il ne s’y est glissé ni une pensée, ni un sentiment que vous ne puissiez y voir. Je pense que vous serez contente de la docilité de votre fille, qui vous a gardé sa plus vraie, sa plus énergique pensée pour la fin de sa confidence.