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le dragon rouge.

la France. Est-ce à ce ministre hypocrite qu’elle irait mendier la grâce du commandeur de Courtenay, à celui dont les plus redoutables adversaires se réunissaient deux fois par semaine chez elle, dans ses salons ? Quelle faiblesse d’y recourir ! quel abaissement d’y compter ! quelle illusion d’en espérer un résultat heureux ! L’abbé Fleury était la dernière personne de France à laquelle il fallait penser pour avoir la grâce et la liberté du commandeur, et, la première, à coup sûr, qu’il fallait redouter de voir s’opposer à cet acte de la clémence royale.

La marquise n’avait pas beaucoup d’autres protecteurs à invoquer au-dessus d’elle : quand les grands chênes tombent, rien n’est assez fort autour d’eux pour arrêter ou suspendre leur chute. Elle pensa naturellement à s’adresser au jeune roi, Louis XV, ainsi qu’elle l’avait déjà projeté, si l’on se souvient de sa dernière lettre au commandeur. Elle était, disait-elle alors, sûre de la grâce. Maintenant la marquise était un peu moins sûre quoique le mariage du roi fut fixé au lendemain, et qu’elle comptât beaucoup sur ce jour solennel où un roi ne refuse rien. C’est qu’elle s’avouait et se démontrait, avec la brutale conviction de l’intérêt personnel, si lucide et si net lorsqu’il agit sur lui-même, que la disgrâce de son protecteur, le duc de Bourbon, était aussi une disgrâce pour elle, et qu’à la cour les gens tombés sont morts. La cour ne fait pas de prisonniers. Elle ne s’abusait pas sur ce point ; mais elle exceptait le roi du nombre de ses ennemis : un roi de France n’est l’ennemi de personne. Plusieurs fois le roi avait daigné parler d’elle avec une haute bienveillance ; il n’ignorait pas l’ascendant qu’elle avait sur l’esprit du duc de Bourbon dans le maniement des affaires ; il n’avait jamais manqué de l’inviter à ses brillantes fêtes de Versailles et de Marly. Aucune raison sérieuse ne pouvait donc faire entrevoir à la marquise un refus possible de la part du roi.

La marquise n’avait plus qu’un jour à attendre pour tenter l’ouverture, plus que deux jours au plus, par conséquent, à