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le dragon rouge.

quise toute pâle, presque indignée du ton parfait de certitude répandu dans les paroles de son mari, qu’elle aurait voulu voir en ce moment frappé des signes les plus évidents de la folie afin de nier les paroles qu’il prononçait.

— Si vous l’eussiez vu comme moi, reprit-il, tomber à terre, frappé au cœur de la balle de son adversaire…

— Il a été frappé au cœur, au cœur ! dites-vous ?

— Au cœur ou au front, qu’importe, continua le marquis, puisqu’il devait mourir du coup ?

— Et il n’a rien dit, il n’a pas eu la force de vous faire ses adieux ? s’informait la marquise, instruite pour la première fois des circonstances du duel.

— Il est tombé pour ne jamais plus se relever. Ses yeux se sont fermés, son pouls ne battait plus. C’était un cadavre.

— Comme il a toute sa raison en me disant ces affreux détails, pensait la marquise dans la désolation de son âme. Que n’eût-elle pas donné pour que, tout à coup un accès de folie s’emparant de lui, elle put au moins mettre en doute ce qu’il lui racontait ? Elle alla jusqu’à provoquer cette erreur dont elle avait besoin, — et c’est bien là le cœur humain ; — elle porta à droite et à gauche ses regards, comme si elle eût craint le ridicule danger dont lui avait parlé son mari. Elle les plongeait avec affectation sous les fauteuils et les meubles afin de lui faire croire qu’il pouvait bien s’y cacher un de ces animaux domestiques si redoutables aux oiseaux.

— Verriez-vous quelque… quelque chat ?… s’écria le marquis, trop sur ses gardes pour ne pas remarquer le manège de la marquise.

— Non ! répondit doucement la marquise ; mais non… Je ne crois pas…

— Vous ne croyez pas !… Mais alors vous n’êtes pas sûre ! Sauvez-moi, au nom du ciel, de ses griffes ! dit-il en se jetant devant sa femme pour s’en faire un bouclier, Sauvez-moi ! oh ! sauvez-moi !