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le dragon rouge.

Après être rentrée dans sa chambre, la marquise avait donné l’ordre à Marine de ne pas retourner à Saint-Maur ; mais elle lui avait dit de se tenir prête à y aller dans la soirée, qu’elle aurait encore une lettre à lui faire porter.

Ma pauvre enfant tient toujours à son idée, pensa Marine ; si elle allait devenir comme son mari ! Comprend-on cette obstination à vouloir que le commandeur ne soit pas mort ? Puisqu’elle veut être trompée, et que cette erreur la rendra moins malheureuse, eh bien ! que la volonté de Dieu soit faite, elle sera trompée.

— Quand tu voudras, ma fille, répondit-elle à la marquise, j’irai à Saint-Maur. Mais, crois-moi, le commandeur… À quoi bon, pensa-t-elle, revenir toujours là-dessus ? Et elle s’arrêta pour dire, en sortant de l’appartement : Quand tu voudras et tant que tu voudras.

Au milieu du silence général qui régnait dans l’hôtel, livré à la tristesse, la marquise de Courtenay écrivit ainsi au commandeur :

« Vous vivez !… je le sais… j’en suis sûre… quoique tout le monde vous croie mort… J’ai arraché ce secret à votre frère, à force de tourmenter son esprit, étrangement affaibli par la scène dont il venait d’être acteur et témoin. Il croit n’avoir rien dit, mais je sais tout. Vous vivez !… Que le ciel soit béni pour vous avoir conservé à votre neveu et à votre nièce, chers enfants dont j’entends les regrets et les gémissements de l’endroit où je vous écris. Eux aussi vous pleurent comme mort… et je ne puis aller les consoler, les payer de leur tendresse pour vous en leur disant : Non, il n’est pas mort ! celui que vous pleurez… vous le reverrez un jour… vous l’embrasserez. Séchez vos larmes… souriez à votre mère qui vous porte la bonne nouvelle… mettez-vous à genoux !… Mon ami, je n’ai jamais eu tant de religion que depuis que je suis si malheureuse, que depuis deux jours. Si vous saviez le rêve qu’a fait Léonore la nuit, cette horrible, cette suprême nuit dernière. Horrible, vous étiez mort !… mais bien-