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le dragon rouge.

De jolies petites dents et des griffes gantées de velours la déchiraient dans toutes ces ménageries dorées qu’on appelle par politesse salons, cercles, réunions. Du moment où elle avait eu une faiblesse, il était naturel de lui en prêter autant que la calomnie peut en contenir, et elle en contient beaucoup. On se disait que le dragon rouge s’était rendu à La Haye pour y publier l’histoire de ses amours avec la marquise de Courtenay. On souscrivait déjà sous le manteau ; on ajoutait que l’auteur avait eu le soin de placer une page blanche entre chaque page imprimée afin que le lecteur eût la facilité d’écrire ce qu’il savait de particulier sur le compte de la belle marquise. Le tout serait accompagné de gravures en taille-douce, ces sortes de livres affectionnant beaucoup les gravures en taille-douce.

Tandis que ces rumeurs grondaient autour de la marquise de Courtenay, elle ne se doutait pas seulement qu’elle en était l’objet ; innocente tranquillité que ne manquent jamais de goûter ceux qu’on blasonne par derrière.

Dès le lendemain de la mort du commandeur toute la maison avait pris le deuil. Cet honneur funèbre, rendu à sa mémoire, avait produit une singulière impression sur la marquise, obligée de porter le deuil de celui qu’elle croyait encore en vie, qu’elle espérait revoir un jour.

Ce fut Marine qui se chargea de demander au marquis pour quel motif lui seul se croyait dispensé de prendre le deuil dans sa maison.

— Comment, lui répondit le marquis, toi aussi, tu m’adresses cette question ?

— Allons ! quelque nouvelle lune, pensa Marine. Je te l’adresse parce qu’il faut que quelqu’un te l’adresse.

— Regarde-moi, Marine.

— Plus je te regarde, plus je ne vois rien, marquis.

— Tu ne nieras pas que j’aie cessé d’être de porcelaine.

— Pour cela, non.