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le dragon rouge.

Dans l’intervalle qu’elle mit à se rendre du salon à la salle à manger, elle avait si bien disposé son visage, provoqué son teint, arrangé un sourire, que personne, lorsqu’elle entra, ne remarqua cette pâleur dont elle redoutait tant les interprétations. Elle eut même la présence d’esprit de trouver un motif à l’absence de son mari et du commandeur. Ils s’étaient rendus à Montlhéry pour traiter de l’achat d’une terre destinée à grossir le majorat du jeune Tristan.

L’excuse fut parfaitement acceptée, et l’on se mit à table.

La douleur de la marquise en s’asseyant au milieu de tous ces convives, hommes d’État, hommes de cour, hommes d’intrigues, qui l’entouraient de leurs regards et attendaient comme une faveur qu’elle leur parlât, ne peut se comparer qu’à la douleur de son père quand on lui vissa les jambes entre deux planches de fer.

Ces convives étaient une partie brillante, mais assez mélangée, ce jour-là, de la grande société du temps.

Peut-être quelques-uns méritent-ils d’être peints sur place avec la rapidité et l’abandon de la fresque. À moins que l’œuvre ne soit de Raphaël, de Léonard de Vinci, il est rare, en ce genre de peinture, que l’œuvre vaille le mur qu’elle couvre.

Nous les prendrons sans ordre, quoique certes ils ne fussent pas placés ainsi à la table de madame de Courtenay ; mais, outre que ce procédé nous est plus commode, nous imitons en cela la postérité, qui a un peu brouillé la hiérarchie dressée à l’époque.

Celui-ci est un célèbre juge au Châtelet. Toutes les causes délicates sont du ressort de la section qu’il préside. C’est le fléau des adultères : il ne pardonne pas à Jésus-Christ qui leur a pardonné. On n’a rien à reprendre à sa sévérité, si ce n’est qu’elle s’arrête à sa personne, comme certains fleuves s’arrêtent sur eux-mêmes en atteignant les limites salées de la mer. Il condamne les maris infidèles et les remplace auprès de leurs femmes.