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le dragon rouge.

ries arrivèrent par deux allées différentes au carrefour du Grand-Chêne. Elles s’arrêtèrent à quelques pas de l’arbre colossal dont le nom est devenu celui de ce rond-point bien connu des chasseurs. De la première voiture, qui était la plus grande, descendirent d’abord le marquis de Courtenay et le commandeur, ensuite quatre autres personnes de distinction. La portière de l’autre voilure s’ouvrit pour laisser passer Raoul de Marescreux, le dragon rouge, et ses deux témoins, pris, si l’on s’en souvient, parmi les jeunes officiers du foyer de la Comédie-Italienne. Ils portaient des costumes de ville. Comme on n’avait pas pu interdire à leurs nombreux camarades, présents à la dispute de la veille, d’assister à la rencontre des trois adversaires, ils s’étaient à peu près tous rendus à l’endroit choisi pour vider le différend. Afin de ne porter aucun ombrage aux combattants ni à leurs seconds, ils s’étaient formés par groupes silencieux à l’ouverture d’une des routes qui aboutissent au rond-point. Le froid incisif de la journée n’avait pas été un obstacle à leur curiosité. D’ailleurs le duel étant l’occupation et l’amusement de leur vie, ils venaient là avec le naturel que d’autres apportaient à aller à la messe ou au spectacle. Sur un terrain durci et nivelé par une forte gelée, les trois adversaires s’abordèrent en se saluant. Leurs témoins, qui les suivaient de près, se firent également leurs politesses, courtoisie glacée dont rien ne peut rendre la désespérante impression. Le commandeur, tenant toujours sous son bras le marquis de Courtenay, son frère, s’adressa le premier à Raoul.

— Monsieur, lui dit-il, je crois inutile, dans la position où nous nous sommes mis, d’allonger notre entrevue d’explications oiseuses. Les paroles ne changeraient rien aux faits.

— Rien, interrompit Raoul, absolument rien, monsieur.

Le commandeur profita de cette interruption, si brève qu’elle fût, pour lancer un coup-d’œil oblique sur le visage de son frère. Il fut peu rassuré.