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le dragon rouge.

de pouvoir toujours rester avec vous. N’est-ce pas, Tristan, dit Léonore à son frère qui rentrait dans le salon, je te disais cela ?

— Vrai, ma mère, répondit Tristan.

— Je vous crois tous les deux ; mais vous changerez d’avis, Léonore, et je vous conseille de ne pas plus croire à vos projets que Tristan à ceux qu’il a pu faire de son côté.

— Je renoncerai aux miens tout de suite, reprit Léonore, si vous le voulez ; mais alors je me marierai pour vous et non pas pour moi.

— Vous marier pour moi ! s’écria madame de Courtenay ; chers enfants, ajouta-t-elle en posant la main sur son cœur. Oh ! je vous en conjure d’avance ; je vous l’ordonne, entendez-vous, je vous l’ordonne, ne m’écoutez pas, désobéissez-moi, si jamais je parais faire violence à vos inclinations, au choix du mari ou de la femme que vous aurez arrêté dans votre cœur. Moi, vous contraindre !… N’est-ce pas que vous me désobéirez ?…

— Puisque je ne veux pas me marier, dit Léonore en souriant sous les pleurs de sa mère, pourquoi me faire faire cette promesse ?

— Vous avez raison, Léonore, j’oubliais que vous vouliez rester fille, ajouta madame de Courtenay en sentant s’évaporer sous une ironie triste et douce les pleurs venus jusqu’aux bords de ses paupières.

Un quart d’heure de dévoré, murmura-t-elle. Dix heures sonnaient à la pendule du salon.

— Cependant, je fais une exception, continua Léonore, et je la faisais tantôt à mon frère Tristan. S’il se rencontrait un jeune homme beau, noble, loyal, généreux, plein d’honneur, de courage, constamment affable envers ses inférieurs, empressé et sérieux auprès des femmes, se mettant avec goût sans paraître jamais ridicule, aimé de tout le monde, ne médisant de personne, indulgent avec les plus petits esprits et se faisant écouter avec respect des plus grands ; ah ! celui-là, ma mère, je l’aimerais, oui, je l’aimerais de toute mon âme, et je le voudrais